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Cinq questions pour comprendre la crise qui frappe le Liban

Cinq questions pour comprendre la crise qui frappe le Liban

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Que se passe-t-il au Liban ? Le Premier ministre libanais, Saad Hariri, doit arriver à Paris, samedi 18 novembre, pour rencontrer Emmanuel Macron à l’Elysée. A la surprise générale, le dirigeant libanais a annoncé sa démission, le 4 novembre, depuis Riyad, la capitale saoudienne. Pour y voir plus clair, franceinfo revient sur la situation en cinq questions.

1- Pourquoi Saad Hariri a-t-il démissionné ?

« L’Iran a une mainmise sur le destin des pays de la région. (…) Le Hezbollah est le bras de l’Iran, non seulement au Liban, mais également dans les autres pays arabes, a déclaré Saad Hariri en annonçant sa démissionJe sens que ma vie est visée. »

Quelques jours plus tard, le Premier ministre démissionnaire s’est exprimé sur une chaîne de télévision libanaise, Future TV, dont sa famille est propriétaire. Il a reçu une journaliste libanaise dans sa résidence à Riyad, en Arabie saoudite. Les traits tirés, le teint pâle et le verbe hésitant, il est revenu, pendant près de quatre-vingt-dix minutes, sur les raisons de sa démission. Il assure avoir voulu créer « un choc positif » mais aussi assurer sa sécurité. « On ne peut pas continuer au Liban comme cela, avec les ingérences de l’Iran et avec un mouvement politique qui pratique ces ingérences avec lui », juge-t-il, alors que le Hezbollah est un pilier de son gouvernement, rappelle Le Monde.

Le président libanais, le chrétien Michel Aoun, a accusé l’Arabie saoudite de détenir Saad Hariri, ce que ce dernier a réfuté : « Je suis libre dans le royaume. Si demain je veux voyager, je voyage. »

Mais le problème de fond semble ailleurs : « Ce n’est pas la liberté de mouvement de Saad Hariri qui est en jeu, mais la liberté politique du Premier ministre libanais, la liberté d’opinion politique, la liberté d’agir selon un agenda libanais et non pas étranger… Sur ce point, il n’a pas vraiment convaincu de l’indépendance de sa décision », estime auprès de franceinfo Daniel Meier, docteur en sociologie politique et auteur de Liban : identités, pouvoirs et conflits (Le Cavalier bleu, 2016).

2 – Saad Hariri est-il toujours Premier ministre ?

Pour l’instant, oui. Pour que sa démission soit effective, elle doit être acceptée par le président libanais. Michel Aoun attend le retour de Saad Hariri au Liban pour se prononcer. En cas de confirmation de cette démission, le président devra charger le gouvernement de gérer les affaires courantes jusqu’à la nomination d’un nouveau Premier ministre.

« Mais compte tenu de la polarisation actuelle, des très profondes divisions libanaises, on voit mal comment il pourrait y avoir un consensus sur un autre nom que celui de Saad Hariri. C’est pour cela que cette crise ne se résoudra probablement pas avant plusieurs semaines ou plusieurs mois », juge Karim Emile Bitar, directeur de recherches à l’Iris, sur franceinfo.

Pour Amal Saad, professeure de sciences politiques à l’Université libanaise, le voyage de Saad Hariri signifie soit l’exil et la fin de sa carrière politique, soit un retour au Liban et des négociations avec le Hezbollah.

3 – Pourquoi Paris s’implique-t-il autant dans ce dossier ?

La France a été très active. Et Jean-Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères, a rencontré des responsables saoudiens et Saad Hariri lors d’un déplacement à Riyad.

Lors d’une conférence de presse avec son homologue saoudien, le chef de la diplomatie française a évoqué « le rôle de l’Iran et les différents domaines dans lesquels les actions de ce pays nous inquiètent ». « Je pense en particulier aux interventions de l’Iran dans les crises régionales, à cette tentation hégémonique et je pense à son programme balistique », a-t-il ajouté.

De son côté, en marge de la COP23, à Bonn (Allemagne), Emmanuel Macron a justifié l’invitation lancée à Saad Hariri : « Je souhaite que la situation au Liban soit pleinement pacifiée. (…) Je me suis entretenu avec le Premier ministre Saad Hariri et nous sommes convenus que je l’invitais pour quelques jours en France avec sa famille. C’est aussi un geste d’amitié, et une volonté marquée de la France de contribuer au retour au calme et à la stabilité au Liban. »

Les liens étroits entre la France et le Liban remontent au XVIe siècle quand, après un accord entre le roi François 1er et l’Empire ottoman, les rois de France deviennent les protecteurs officiels des chrétiens d’Orient. En 1920, la France est mandatée par la Société des nations pour administrer le Liban et la Syrie, et fixe la frontière entre les deux pays.

« C’est un assez joli coup diplomatique de la part de la France, relève Karim Emile Bitar. Cela permet à l’Arabie saoudite et à Saad Hariri de ne pas perdre la face. Et d’éviter une escalade supplémentaire dans une situation libanaise qui est assez tendue. » Toutefois, cette décision de la France a aussi ses limites, selon le chercheur de l’Iris. « Sur le fond, ça ne règle pas grand-chose. Tant qu’il n’y aura pas de retour à un modus vivendi entre ces deux puissances, l’Iran et l’Arabie saoudite, la crise institutionnelle au Liban pourrait perdurer. »

4 – Comment réagit l’Iran ?

Téhéran accuse Paris d’être partial et de jeter de l’huile sur le feu. « Malheureusement, il semble que la France a un regard partial et partisan sur les crises de la région et cette approche, volontairement ou involontairement, aide même à transformer des crises potentielles en crises réelles », a déclaré le porte-parole de la diplomatie iranienne, Bahram Ghassemi. Pour lui, « l’Arabie saoudite joue un rôle destructeur évident » dans ces crises.

Vos inquiétudes ne sont pas conformes à la réalité régionale et elles vous conduisent dans la mauvaise direction.

Bahram Ghassemi, porte-parole de la diplomatie iranienne

lors d’une conférence de presse

5 – Pourquoi le Liban est-il au cœur de tensions entre l’Iran et l’Arabie saoudite ?

Ce n’est pas la première fois que le Liban est tiraillé entre deux grandes puissances. « Dans le passé, cela a pu être les Etats-Unis ou encore la France », rappelle Daniel Meier auprès de franceinfo. Mais actuellement, l’Iran et l’Arabie saoudite « utilisent le Liban pour se livrer à une compétition régionale. Ils le font aussi ailleurs dans la région, au Yémen, en Irak ou en Syrie. Et la faiblesse de l’Etat libanais rend possible cet affrontement. »

« Avec le Printemps arabe, les deux califats du monde arabe (Damas et Bagdad), ont perdu de leur leadership (…), donc le vieux rêve saoudien de devenir le leader principal du monde arabe commençait à prendre forme. Ce que l’Arabie saoudite tente de faire, c’est de s’imposer comme puissance régionale là où il y a une place à prendre, explique sur France Culture Bertrand Badie, professeur de relations internationales à Sciences Po et chercheur au Ceri. Pour prendre le leadership, il faut exclure un certain nombre de concurrents potentiels (…) et se mesurer à l’autre puissance régionale potentielle de la région », l’Iran. — franceinfo–

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